mercredi 20 juin 2012

Les lectures du soir



"Il se souvient que Renzo, quand il était tout jeune écrivain, juste après ses études, vivait dans un appartement à quarante-neuf dollars par mois dans le Lower East Side, un de ces appartements aux pièces en enfilade dans un immeuble vétuste où la baignoire se trouvait dans la cuisine et où six mille cafards tenaient des forums politiques dans chaque placard, et il était si pauvre qu'il devait se limiter à un repas par jour alors qu'il travaillait à son premier roman, livre qu'il détruisit parce qu'il ne l'estimait pas assez bon, qu'il détruisit malgré les protestations de Morris et celles de sa petite amie qui, tous deux, le trouvaient au contraire très bon, et maintenant regardez-le, pense Morris, après combien de livres à la suite de ce manuscrit brûlé (dix-sept ? vingt ?) publiés dans tous les pays du monde, même en Iran, bon sang, et combien de prix littéraires, de médailles, de clés de villes, de doctorats honoris causa, d'ouvrages et de thèses rédigés sur son œuvre, et rien de tout cela ne compte pour lui, il est content d'avoir un peu d'argent, maintenant, content d'être à l'abri des privations étouffantes de ses débuts, mais sa célébrité le laisse froid, il a perdu tout intérêt pour lui-même en tant que personne publique. Je veux seulement disparaître, a-t-il dit un jour à Morris, marmonnant ces mots à voix plus basse que basse, les yeux perdus dans le lointain avec une expression douloureuse, comme s'il se parlait à lui-même. Je veux seulement disparaître. "